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Vous avez déjà eu ce collègue qui accuse constamment les autres d’être désorganisés alors qu’il arrive systématiquement en retard aux réunions ? Ou ce manager qui reproche à son équipe de manquer d’initiative alors qu’il contrôle le moindre détail ? Bienvenue dans le monde fascinant de la projection, l’un des mécanismes de défense psychologiques les plus courants en entreprise… et l’un des plus problématiques.

La projection, c’est ce processus mental inconscient par lequel nous attribuons aux autres nos propres pensées, sentiments ou comportements que nous refusons de reconnaître en nous-mêmes. Un peu comme si notre cerveau disait : « Ce n’est pas moi qui suis anxieux à l’idée de cette présentation, c’est mon équipe qui me stresse ! » Pratique pour protéger notre ego, mais redoutable pour les relations professionnelles.

mecanisme de protection : la projection = on attribue aux autres nos émotions refoulées

Qu’est-ce que la projection comme mécanisme de défense ?

Définition et origines du concept

Introduit par Sigmund Freud en 1894, la projection est définie comme l’opération mentale inconsciente par laquelle une personne attribue à autrui ses propres sentiments qu’elle n’arrive pas à assumer. Anna Freud a ensuite élargi ce concept, montrant que la projection n’est pas seulement pathologique mais aussi un processus adaptatif fondamental.

En milieu professionnel, ce mécanisme se traduit par des comportements où nous « expulsons » nos caractéristiques indésirables pour les « coller » sur nos collègues. C’est notre façon inconsciente de transformer un danger intérieur (nos angoisses) en danger extérieur – les autres deviennent le problème.

Comment fonctionne la projection au travail ?

Le processus est assez simple. Prenons un exemple : vous avez envie de venir travailler en tongs et t-shirt, mais cette envie est incompatible avec votre image professionnelle. Votre cerveau la rejette inconsciemment et hop, vous vous retrouvez à critiquer « ces jeunes de la génération Z qui n’ont aucun sens du professionnalisme vestimentaire ». Le tour est joué, vous pouvez critiquer sans vous sentir concerné.

Ce mécanisme transforme nos angoisses internes en peurs externes, plus faciles à gérer psychologiquement. C’est comme ces conflits au travail où on accuse l’autre d’être la source du problème alors qu’on participe activement à la tension.

Pourquoi projetons-nous au travail ?

Notre identité professionnelle est précieuse. Quand elle est menacée par nos propres insuffisances, la projection agit comme un bouclier. Un manager qui doute de ses compétences techniques pourra accuser son équipe d’incompétence plutôt que d’admettre ses propres lacunes.

C’est aussi une excellente stratégie pour éviter la responsabilité : « Ce n’est pas moi qui ai mal géré ce projet, c’est l’équipe marketing qui n’a pas communiqué ! » La projection nous permet d’éviter l’inconfort de reconnaître nos erreurs – particulièrement fréquent dans les environnements où l’échec est mal toléré.

Face à la pression des deadlines et des objectifs, projeter nos anxiétés sur l’environnement extérieur devient une stratégie de survie psychologique. Et puis, la projection valide nos préjugés. Si je pense inconsciemment que les femmes sont moins techniques, je remarquerai davantage leurs erreurs techniques tout en minimisant les miennes.

Exemples concrets de projection en entreprise

Le syndrome du micro-manager

Sophie, directrice commerciale, contrôle chaque email envoyé par son équipe. Elle justifie : « Mon équipe manque d’autonomie, ils ont besoin d’être guidés sur tout. » En réalité ? Sophie projette sa propre peur de perdre le contrôle et son manque de confiance en elle. En contrôlant tout, elle évite de confronter sa propre insécurité.

Le collègue éternellement critique

Marc critique systématiquement les présentations de ses collègues… trop longues, mal structurées, peu claires. Ce que Marc ne réalise pas, c’est qu’il lutte avec sa propre capacité à communiquer clairement. Sa critique excessive masque son anxiété concernant ses propres présentations.

L’accusation de manque d’ambition

Un manager reproche à ses collaborateurs de manquer d’ambition et de ne pas prendre d’initiatives. Regardez de plus près et vous verrez souvent que ce manager projette sa propre stagnation professionnelle et sa peur de prendre des risques. C’est un peu comme ces types de conflits en entreprise où le vrai problème n’est jamais celui qu’on pointe du doigt.

La projection en réunion

« Les gens ne m’écoutent jamais en réunion » se plaint régulièrement Julien. Mais Julien projette sa propre difficulté à écouter les autres et son besoin constant d’avoir raison. Ironique, non ?

Comment reconnaître la projection

Chez soi-même

Les signaux d’alerte sont assez clairs quand on sait les chercher. Si un comportement vous énerve de façon excessive, questionnez-vous. Vous reprochez toujours les mêmes choses aux mêmes personnes ? Red flag. Vous utilisez des généralités absolues comme « Les commerciaux sont TOUS… » ? Encore un indice.

Et puis il y a ces phrases révélatrices qu’on entend tous les jours en entreprise… « À 54 ans, on ne change pas ! », « Les gens optimistes me fatiguent », « Je ne supporte pas les conflits », « J’ai horreur des gens qui se la racontent ». Derrière chaque « je déteste », se cache souvent une projection.

Chez les autres

Observer la projection chez les autres, c’est remarquer les accusations sans fondement concret, les critiques qui reviennent en boucle, les émotions intenses face à des situations neutres. Quelqu’un qui voit toujours les mêmes défauts chez différentes personnes ? Il y a fort à parier qu’il projette.

Les impacts de la projection au travail

La projection érode la confiance. Quand un collaborateur projette constamment ses insuffisances sur vous, la relation devient toxique. Les malentendus s’accumulent, les conflits s’enveniment – et c’est là qu’il devient crucial de savoir comment désamorcer ces tensions.

Une équipe où les projections sont nombreuses perd en efficacité. La communication devient biaisée, les feedbacks non constructifs, et on traite les symptômes projetés plutôt que les causes réelles. Le climat de méfiance s’installe.

Plus grave encore : la projection nous empêche de grandir. En attribuant nos défauts aux autres, nous perdons l’opportunité de nous améliorer. C’est un frein majeur au développement des compétences et du leadership.

À grande échelle, les projections collectives créent des cultures d’entreprise dysfonctionnelles. On cherche des boucs émissaires, on développe une culture du blâme plutôt que de la responsabilité, on résiste au changement en accusant le marché de ne pas comprendre notre produit…

Comment gérer la projection au travail ?

Pour réduire ses propres projections

L’auto-observation est la clé. Après chaque critique ou jugement, posez-vous trois questions simples : Qui a dit ça – est-ce vraiment mon opinion ou une croyance héritée ? Qu’est-ce que j’en pense vraiment ? Et surtout… qu’est-ce que ça dit de moi ?

Tenez un journal de vos réactions émotionnelles fortes au travail. Cherchez les patterns. Si vous vous énervez toujours contre les retards, interrogez votre propre rapport au temps. Ce qui vous agace chez les autres est souvent ce que vous n’acceptez pas chez vous. Transformez chaque critique en question personnelle : « En quoi suis-je comme ça ? »

Et n’hésitez pas à demander du feedback régulièrement. Les autres voient souvent nos projections mieux que nous.

Gérer les projections des autres

D’abord, ne prenez pas les choses personnellement. Leur projection parle d’eux, pas de vous. C’est leur anxiété qui s’exprime.

Face à quelqu’un qui projette, la clarification empathique fonctionne bien : « J’entends que tu trouves l’équipe désorganisée. Peux-tu me donner des exemples concrets ? » Ça force la personne à sortir de la généralité projective.

Vous pouvez aussi transformer la projection en opportunité de dialogue : « Tu sembles préoccupé par l’organisation. Comment pourrions-nous améliorer les choses ensemble ? » Et face à des projections répétées et toxiques, il est légitime de poser des limites : « Je ne me reconnais pas dans cette description. Parlons de faits concrets. »

Créer un environnement anti-projection

Pour les managers, montrez l’exemple en reconnaissant vos propres erreurs. Basez les évaluations sur des comportements observables, pas sur des interprétations. Créez un environnement où l’erreur est permise – ce qu’on appelle la psychological safety.

Dans les équipes, instituez des rétrospectives où on analyse collectivement ce qui a fonctionné ou non, sans chercher de coupables. Pratiquez l’écoute active, reformulez avant de répondre pour éviter les malentendus projectifs. Et surtout, acceptez que les autres fonctionnent différemment sans que ce soit « mal ».

La projection positive existe aussi

On ne projette pas que du négatif. Le syndrome « Je ne pourrais jamais faire ça » face à quelqu’un qu’on admire, c’est aussi de la projection. L’attribution excessive de compétences aux leaders, l’idéalisation de certains collègues… Ces projections positives peuvent être motivantes mais créent aussi des attentes irréalistes.

Quand ça devient problématique

Certains signaux doivent alerter : l’incapacité totale à recevoir du feedback, la paranoïa professionnelle (« tout le monde est contre moi »), les conflits systématiques avec tous les collègues, le burnout lié à la projection excessive du stress. Dans ces cas, un accompagnement professionnel peut être nécessaire.

Transformer la projection en opportunité

La projection est un mécanisme de défense universel – nous le faisons tous. L’enjeu n’est pas de l’éliminer complètement mais de la reconnaître quand elle se produit, comprendre ce qu’elle révèle sur nous et l’utiliser comme outil de développement personnel.

Comme le disait Jung : « Tout ce qui nous irrite chez les autres peut nous conduire à une meilleure compréhension de nous-mêmes. » Au lieu de voir la projection comme un problème, voyons-la comme un GPS émotionnel qui nous indique où nous avons encore du travail à faire sur nous-mêmes.

La prochaine fois que vous vous surprendrez à penser « Ce collègue est vraiment… » arrêtez-vous une seconde. Et si ce jugement était en fait un miroir ? Et si cette irritation était une invitation à explorer une part de vous-même que vous n’avez pas encore acceptée ?

En entreprise, ceux qui maîtrisent leurs projections deviennent de meilleurs leaders et collaborateurs. Ils créent des relations plus authentiques, prennent de meilleures décisions et contribuent à des cultures d’entreprise plus saines. Alors… prêt à faire face à votre miroir professionnel ?

Benoit Lacroix

Benoit Lacroix

Co-fondateur du média Happy Team, Benoît est un passionné de la gestion des ressources humaines et de la résolution des conflits au travail. Il est aussi médiateur.

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